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Le temps de vivre…il est trop tard…
On ne sait pas toujours pourquoi on aime quelqu’un, c’est votre cœur qui vous le dicte et on aime un point c’est tout….il en est de même pour ces doux et talentueux rêveurs qui passent dans nos vies et qui nous ébranlent par leurs textes et leurs mélodies. Pourquoi ces émotions en les écoutant ? Cela ne s’explique pas ça se ressent et ça se vit. Brassens, Ferré, Ferrat, Moustaki…..…ils font tous désormais partie de ce triste club « des poètes disparus ».
La môme qui a si magnifiquement chanté la composition de Georges Moustaki, « Milord », a du très certainement lui lancer amoureusement cette étrange invitation, « Allez venez Milord vous asseoir à ma table ». Le poète a accepté, son âme s’envole, ses ballades et ses mots ………eux……… resteront avec nous………… merci Mr Moustaki…
(23/05/2013)
Un cœur qui pleure…
Quand Mme J arrive à l’ institution je ne sais pas encore pourquoi cette dame de 81 ans est placée. La fiche de liaison la présente comme quelqu’un d’asocial et difficile à prendre en charge, en terme plus simple et moins pompeux, elle a un fichu caractère et un parlé bien trempé.
Je rencontre cette vieille dame 15 jours auparavant, alors qu’elle visite l’établissement, je ne sais absolument rien d’elle. Dés son arrivée elle parle fort et de façon autoritaire. Les soignants lèvent déjà les yeux au ciel en voyant dans la future pensionnaire une charge inévitable de travail et de patience supplémentaires ( Certains d’entre eux ne savent toujours pas que l’empathie et la douceur sont mille fois plus bénéfiques qu’une théorie d’école !!) Je l’entends de loin, sa voix porte et son discours semble être préenregistré, elle clame haut et fort à qui veut bien l’entendre toutes les 3 minutes chrono: « JE NE VEUX PAS RESTER ICI ». Accompagnée du cadre de l’établissement et de deux soignants elle s’approche…
La vielle dame est belle, son visage est harmonieux, ses rides rangées et symétriques, ses cheveux gris et lisses tombent sur ces épaules. Ses yeux sont clairs et remplis de méfiance. Je me mets à sa hauteur, lui tends la main, plante mon regard dans le sien et me présente. Je lui explique mon rôle et surtout, surtout je lui fais comprendre que je ne vois pas en elle ce que beaucoup entrevoit….une vielle dame sénile. Elle a compris la gravité de la situation, tout bascule à cet instant précis…..et ce pour le restant de sa courte vie . La présence de deux chats la rassure provisoirement. Elle s’apaise. Je comprendrais plus tard….
Elle est donc maintenant institutionnalisée depuis quelques jours. Elle est souvent réfractaire aux soins et ne se trouve bien que dans le bureau où les chats sont présents et où la vie semble avoir un cours « normal »……un peu comme avant…. Dans l’optique de mettre en place son « projet de vie », bien que se terme la fasse doucement rigoler, je décide de faire plus ample connaissance avec cette pensionnaire décrite « agressive » et « froide » . Je lui propose l’entretien qu’elle accepte immédiatement , elle veut me parler. Elle me raconte tout …….. sa vie….ses jolies histoires…..sa fierté, son fils médecin …….. ses nombreux chats, elle ne vit plus que pour eux, elle me les décrit amoureusement dans les moindres détails. Et puis elle me raconte ses épreuves aussi. Le veuvage…..la maladie de son fils placé en institution lui aussi….la solitude, l’isolement puis l’indifférence. Cette indifférence mêlée à de nombreux soucis de santé qui petit à petit la mènera à vivre dans des conditions d’insalubrités. Les services sociaux sont alors interpellés. La machine est en marche, il est déjà trop tard. Deux blouses blanches viendront « l’arracher » ( au sens propre du terme) de sa maison. Aucune tentative pour maintenir l’octogénaire à son domicile….le placement est brutal et définitif. Les souvenirs évoqués ravivent la blessure. Elle veut « foutre le camp d’ici ». Ma voix est douce et je lui confirme que j’entends tout ce qu’elle me dit. J’acquiesce et je prends sa colère.
Elle se défend de rester a proximité des autres résidents les plus diminués physiquement. Elle les appelle les « déchets humains » ou « détritus ». Il ne faut surtout pas traduire ici une méchanceté certaine ou un dédain monstrueux dans les mots de cette vielle femme usée par la détresse, j’entends qu’elle est simplement terrorisée, horrifiée à la seule idée que d’ici peu elle puisse s’affaiblir et leur ressembler.
L e temps est superbe…..la nature magnifique…une balade est improvisée pour clôturer l’entretien…malgré l’ambiance printannière, sa révolte est omniprésente. A l’ombre d’un tilleul, nous nous arrêtons sur un banc pour prendre le temps simplement…d’une voix déterminée elle me questionne :
- Vous savez ce qu’est la liberté ?
- Oui…… je crois
- Et vous pensez que chacun y a droit ?
- Oui bien sûr
- Et bien moi je veux avoir la liberté de mourir chez moi avec mes chats…vous entendez ?
- Oui je l’entends
- Alors pourquoi on me laisse pas cette liberté là ?
- …
- Aidez-moi à rentrer chez moi…
Je lui explique alors que je n’ai aucun pouvoir de décision sur les entrées et sorties de l’institution. Elle me rétorque que j’en ai un. Curieuse je lui demande lequel. Elle me répond textuellement :
« Et bien racontez tout ce que je vous dis et surtout n’oubliez pas de dire que je suis chiante et que je suis une trop grosse charge pour vous…ils me foutront dehors »
Je lâche un énorme sourire…surprise par sa malice et sa lucidité. Son visage se détend…elle sourit pour la première fois. Nous partageons un moment de complicité. Un rayon de soleil…
Sa colère est désespoir, sa colère est SOS, la vie, le système, l’indifférence lui ont tout pris……le temps est magnifique, les oiseaux chantent, je quitte mon poste dans 30 min et Mme J, elle, veut mourir…..
« Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons. »
Martin Luther King
12/05/2013